lundi 4 août 2014

Les rapports entre l’Église Réformée Néerlandaise et l'apartheid en Afrique du Sud

Le récent décès de Nelson Mandela m'a poussé vers un vieux bouquin présent dans ma bibliothèque depuis déjà longtemps, « L'Afrique du Sud et la Primauté du Droit ».


Il s'agit d'un ouvrage édité par la Commission Internationale des Juristes de Genève (1961), des gens géographiquement près des banques mais mentalement très loin des fascismes.

Il comporte de larges commentaires de la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme servant de critique au régime d'Apartheid.

On y trouve une très précieuse pièce, le projet de constitution de la République d'Afrique du Sud présenté pour la première fois en 1943, lequel fut adopté lors de la sortie du pays du Commonwealth en 1961 (indépendance de la Grande-Bretagne).

J'ouvre une parenthèse pour rappeler que cette constitution est avant tout un projet des nationalistes de langue afrikaans (néerlandais d'Afrique du Sud), ce dialecte ayant été adoptée comme langue officielle (l'anglais sera langue officielle complémentaire placée sur un plan d'égalité), la loi du pays étant basée sur le « droit romano-néerlandais ».

Le mot néerlandais « apartheid » vient de « apart », lequel dérive du français « à part ».

Apartheid signifie donc « aparté », c'est à dire « placer à part », « séparation ».

Se succèdent également une série de pièces juridiques (dépositions, décisions de tribunaux, etc.) mettant en lumière la façon dont les grands propriétaires terriens ont traités les peuples indigènes durant les années précédant la mise en place de l'Apartheid, traitements dont vous pourrez aisément imaginer la nature.

Ce qui a spécialement retenu mon attention lors de ma lecture du projet de constitution c'est la façon dont la religion chrétienne, principalement le protestantisme, est instrumentalisée.

Partout références sont faites à Dieu, à la Bible, à la religion chrétienne, au protestantisme, à la justice divine.

La République est présentée comme étant fondée sur le « principe national-chrétien » - probablement une innovation des nationalistes - et l'attitude que les blancs auront à entretenir envers les gens de couleur censée s'inspirer du « paternalisme chrétien » (sic !).

Mais que signifie donc ce « paternalisme chrétien » dans le vocabulaire de ces racistes qui ont fait de la pureté raciale et de la ségrégation des principes fondamentaux de leur République ?

Où dans la Bible trouve-t-on trace de cette étrange « paternalisme chrétien » ?

J'ai personnellement envie de dire nulle part !

Certes l'Ancien Testament place les Hébreux dans une situation particulièrement favorable, Dieu leur conférant le statut de peuple choisi pour le représenter.

Mais la Loi de Moïse contient des règles précises obligeant l'Hébreu à traiter le résident étranger avec bienveillance.

Il n'était nullement question de le considérer comme un être inférieur ou de l'obliger à vivre dans des quartiers à part.

Le Nouveau Testament rompt le lien sacré entre la nation d'Israël selon la chair et Dieu et ouvre la voie à un Israël spirituel formé par des individus de toutes races jouissant des mêmes bienfaits.

Certains considèrent que dans ses épîtres l'apôtre Paul manque à son devoir en ne dénonçant pas l'esclavagisme, lequel est une forme de ségrégation.

Cependant il n'en fait nullement l'apologie et il faut retenir que Paul rédige ses lettres dans un monde romain fortement hostile au christianisme.

Par ailleurs les premiers chrétiens n'appartenaient pas à une mouvance politique ou révolutionnaire, se sont au contraire les politiques qui se sont inspirés des textes qu'ils nous ont laissés.

Mais ce qui me semble le plus étonnant dans la construction de l'Apartheid c'est la place de l’Église Réformée Néerlandaise.
En 1961 dans son foyer d'origine les Pays-Bas, il y a longtemps que cette église s'était débarrassée de tout conservatisme calviniste pour s'ouvrir toujours davantage au libéralisme théologique.

Même durant l'âge d'or des Pays-Bas, les 17ème et 18ème siècles, cette église alors encore très austère avait ouvert ses offices aux personnes de couleur, placés certes sur des bancs à part, mais rompant ainsi avec la très traditionnelle ségrégation raciale en cours partout en Europe.

Que s'est-il donc passé en Afrique du Sud dans l'esprit des pasteurs ?

Comment une église peut-elle en Europe s'inscrire dans le progrès social et en même temps en Afrique du Sud choisir la voie du nationalisme ?

Pour tenter de le comprendre il nous faut remonter à la fin du 18ème siècle et à l'occupation britannique du Cap.

Jusqu'à cette époque ce qui deviendra l'Afrique du Sud était majoritairement peuplé d'agriculteurs d'origine néerlandaise* dans les terres et de commerçants sur le littoral.

*Il s'agit des fameux « paysans » connus sous le nom de « Boers » le « s » correspondant au pluriel en usage dans l'anglais et le français. En néerlandais comme en afrikaans on dit « boer » (prononcer « bour ») au singulier. Au pluriel l'Afrikaans dit « boere », en prononçant le dernier « e », et le Néerlandais « boeren » (le « n » est nasalisé).

La Grande-Bretagne va à son tour coloniser les régions du Cap et envoyer des pasteurs missionnaires, principalement des Écossais formés aux Pays-bas, dont la doctrine est déjà fortement libérale et rationaliste.

En réaction à cette « invasion », les Britanniques tentant d'imposer leur langue jusque dans les offices religieux, les Boers vont quitter la colonie du Cap pour pénétrer plus loin dans les terres et former leurs propres républiques.

C'est là que prend naissance le nationalisme Afrikaans.

Avec la création du Transvaal et d'autres états dans les années 1850 va naître au sein de l’
Église Réformée Néerlandaise un courant néo-calviniste, très conservateur, visant à renouer avec l'esprit du calvinisme originel, celui-là même que le « grand réformateur » avait fondé à Genève au 16ème siècle.

Ainsi l’
Église Réformée Néerlandaise (Nederduitsch Gereformeerde Kerk), présente au Cap depuis son origine, va perdre de son influence au Transvaal au profit d'une église plus fondamentaliste, la Nederduitsch Hervormde Kerk (Église Restaurée Néerlandaise).

Puis s'en suivra la naissance d'une autre église plus proche de l'église néerlandaise traditionnelle, la Gereformeerde Kerk van Suid-Afrika (Eglise Réformée d'Afrique du Sud).

Bien que parfois divisées sur le plan doctrinal toutes vont contribuer au développement du nationalisme Afrikaans.

Elles ont soutenus les thèses politico-religieuses de peuple Afrikaans élu participant au dessein divin selon leurs propres lectures de la Bible, thèses qu'elles ont exposées publiquement lors de prédications.

Elles ont été les hérauts de la culture afrikaans quand les colons britanniques du Cap ont tentés d'interdire l'emploi de cette langue dans les écoles ou les administrations entre 1899 et 1902, au moment de la seconde guerre des Boers (la première avait eu lieu entre 1880 et 1881).

En 1949-1950 les trois églises ont non seulement soutenus les lois de séparation des races mais encore ont participé à leur application.

Finalement à compter de 1966 les liens entre le pouvoir et l’Église Réformée Néerlandaise vont encore se resserrer lorsque Koot Vorster, le frère du premier ministre John Vorster, deviendra le modérateur de l'église.

Au moment où l'apartheid allait vers sa fin en 1989 sous la présidence de Frederik de Klerk, l’Église Réformée Néerlandaise ainsi que ses deux sœurs se refusaient encore à reconnaître l'apartheid comme un crime et une hérésie.

Après la naissance de la nouvelle Afrique du Sud démocratique et multiraciale en 1992, l’
Église Réformée Néerlandaise a tournée le dos à la ségrégation et la politique.

Cela dit les nostalgiques de l'ancienne constitution ont créés une autre église qui n'a pas changée d'orientation, l'
Afrikaanse Protestante Kerk.

C'est la politisation de l’
Église Réformée Néerlandaise, se faisant instrument de lutte culturelle et nationaliste, qui a permis l'apartheid.


Si le clergé de cette église avaient observé une stricte neutralité et avait conseillé à ses fidèles de ne pas se lancer dans la lutte nationaliste l'Afrique du Sud aurait connu un destin tout différent.

Certes la langue et la culture afrikaans se seraient peut-être presque éteintes au profit de celles du colon Britannique mais il y a de fortes chances que le nationalisme n'ait pas gagné ni que l'apartheid ait vu le jour.

Cette page de l'histoire nous montre une fois de plus que ce n'est pas la religion en elle-même, ce ne sont pas les messages des religions qui provoquent guerres et crimes.

C'est l'instrumentalisation des religions et de leurs livres saints à des fins politiques qui en est responsable...